mercredi 19 décembre 2007

Actions et méthodes d'intelligence économique

Editorial du N°4/2007 : Actions et méthodes d'intelligence économique



L’intelligence économique est un mode de pensée et d’action qui, consiste pour les entreprises et les territoires, à organiser la surveillance systématique de leur environnement, protéger les informations stratégiques, capitaliser et valoriser leurs connaissances et être en mesure de déployer des actions d’influence. L’intelligence économique est faite de pratiques légales et éthiques. Elle implique une réelle mise en réseau de tous les acteurs car si la compétence est individuelle, l’intelligence est collective.

Depuis sa naissance officielle en 1994, l’intelligence économique a fait couler beaucoup d’encre. Forte à la fois de praticiens et de chercheurs désormais reconnus, cette démarche arrive à maturité. Cet âge de raison doit être marqué par un double processus d’introspection et d’innovation : l’arbre de la connaissance ne s’élève t-il d’autant plus haut que ses racines descendent au plus profond. Aussi, après un premier recueil[1] qui s’intéressait aux fondements et pratiques, nous avons souhaité sortir ici des sentiers battus, prendre les chemins de traverse de l’IE en actions, là où on ne l’attend pas toujours, mais aussi de l’IE en méthodes afin de montrer des démarches originales et même décalées. Voici donc des contributions académiques et professionnelles qui tentent de s’affranchir des ces frontières artificielles qui chloroforment la pensée.


L'intelligence économique en actions

Sophie Larivet et François Brouard s’intéressent à ce que peut apporter la gestion des réclamations à l’intelligence économique. Les plaintes de la clientèle contenant un certain nombre de signaux, la gestion des réclamations contribue à l’influence de l’entreprise et à sa protection informationnelle. Une revue de la littérature de haut niveau et les expériences concrètes qu’ils ont vécues conduisent les auteurs à achever leur article par des conseils pratiques pour concevoir un service clients et améliorer sa gestion des réclamations dans une optique d’intelligence économique.

Pascal Junghans nous présente les résultats d’une enquête sur les méthodes de collecte d’informations qu’il a menée auprès de treize Directeurs des Ressources Humaines de groupes industriels et de services internationaux. L’étude montre que ces DRH diversifient leurs sources d’information pour compenser l’inexistence d’une méthodologie globale qui leur permettrait d’intégrer et de comparer les informations nombreuses et hétérogènes dont ils ont besoin. Les DRH sont donc contraints de s’approprier toutes les données et d’en faire une synthèse avant de prendre toute décision. En fait, ils réalisent cette appropriation dans leur cerveau sans utiliser la moindre méthodologie. C’est la raison pour laquelle Pascal Junghans propose un modèle d’appropriation en guise de conclusion.

Franck Bulinge considère que l’évolution des enjeux stratégiques liés à l’information et à la connaissance implique une évolution des modèles disponibles dans le domaine du renseignement et de l’intelligence économique. Le modèle de la war room lui semblant le plus prometteur, il le présente à la fois sur les plans théorique et pratique, dans le cadre de l’intelligence économique et suivant l’hypothèse d’une relation entre l’information, la connaissance et la prise de décision. Fort de son expérience de la war room, Franck Bulinge nous invite à respecter un ensemble de règles et de principes de mise en œuvre.

Les entreprises françaises, contrairement à la plupart de leurs rivales étrangères, sont soumises à un régime de publicité légale qui les oblige à diffuser un certain nombre de données confidentielles. Didier Danet en conclut que les entreprises françaises subissent une distorsion de concurrence aggravée par le progrès des technologies de l’information et la généralisation des pratiques d’intelligence économique. Aussi les entreprises qui en sont victimes doivent-elles mettre en place des mesures de contre-intelligence qui passent notamment par des stratégies judiciaires dont celle qui consiste, non pas à ne pas publier des informations, mais à retarder suffisamment leur publication pour qu’elles aient perdu une partie substantielle de leur valeur.


L'intelligence économique en méthodes

Nicolas Moinet et Philippe Darantière ont élaboré une méthode de conduite du changement visant à améliorer la démarche de veille stratégique dans l’entreprise. La philosophie de cette méthode peut se résumer en trois conseils : - ne pas réaliser d’étude préalable lourde avant la mise en œuvre de la veille ; - fédérer ce qui se fait dans l’entreprise plutôt que remettre l’organisation à plat ; - réaliser en parallèle l'étude organisationnelle et la mise en œuvre d’un cycle complet de veille. Pour montrer le pragmatisme de leur méthode, Nicolas Moinet et Philippe Darantière en décrivent une application dans un grand groupe pétrolier qui souhaitait améliorer la production et la circulation de l’information d’affaire. Les réseaux de collecte et d’expertise s’appuyant sur les communautés professionnelles, les auteurs ont cartographié les flux d’informations stratégiques avant d’organiser la veille stratégique dans le groupe.

Christian Marcon propose une approche méthodologique en vue de mettre en place des dispositifs d’intelligence économique en réseau. A partir des résultats de travaux menés en analyse structurale et d’éléments sur la coopération inter firmes, il décrit les repères méthodologiques pour la mise en oeuvre de réseaux au service d'une démarche d’intelligence économique. Puis, il présente une succession de schémas conduisant à la représentation synoptique d’un dispositif en réseaux. En fin d’article, l’auteur préconise une véritable méthodologie de mise en œuvre d’une intelligence économique en réseau qu’il structure en sept recommandations.

Denis Benoit montre l’intérêt pour l’intelligence économique de s’approprier formellement les applications des théorisations de l’anthropologue Gregory Bateson réalisées dans le champ de la « thérapie stratégique ». Le thérapeute « systémique bref » met en œuvre, selon lui, des méthodes originales transposables aux contextes spécifiques d’exploration et d’action de l’IE. Concrètement, Denis Benoit suggère de poser l’objectif d’influence sous la forme d’une problématique à dénouer, à laquelle il est possible d’appliquer la « grille de résolution » mise au point par les thérapeutes et les intervenants systémiques brefs : Qui est le client ? Quel est le problème ? Quelles ont été les tentatives de solutions ? Quel est l'objectif minimal de l'intervention ? Quelle est la position du demandeur concernant la situation ?

Ces sept articles firent naturellement l’objet d’une sélection très rigoureuse parmi de nombreuses propositions reçues à la suite d’un appel à contribution. Notre comité de lecture les a choisis pour leur originalité mais surtout parce qu’ils semblaient bien répondre à cette invocation du philosophe Bergson : agir en homme de pensée et penser en homme d’action.


Yves Chirouze et Nicolas Moinet

[1] Nicolas Moinet et Yves Chirouze, L’intelligence économique, Editions ESKA, 2006. Paru également dans la revue Marketing & Communication - Market Management, vol. 2, n°3, octobre 2006.


SOMMAIRE DU NUMERO

ÉDITORIAL………………………………………………………………………
Yves CHIROUZE et Nicolas MOINET

Faire de l’intelligence économique au quotidien : application à la gestion des réclamations.............................................................................................................
Sophie LARIVET et François BROUARD

L’appropriation de l’information par les DRH …………………………………..
Pascal JUNGHANS

Un modèle d’analyse collective en situation : la war room....................................
Franck BULINGE

Publier et Périr : comment la publicité légale menace les données confidentielles des entreprises françaises…………………………………………
Didier DANET

Organiser la veille stratégique dans l’entreprise : conduite du changement, communautés professionnelles et stratégie-réseau ……………………………….
Nicolas MOINET et Philippe DARANTIERE

Analyse de réseaux en intelligence économique : éléments pour une approche méthodologique…………………………………………………………………..
Christian Marcon

Pour une application en IE des principes d’action de la « thérapie brève systémique » (ou « thérapie stratégique »)……………………………………….
Denis BENOIT

Sommaires des numéros précédents et thèmes des prochains numéros………….

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